Projet des créations théatrales autour de
« l’affaire des Vermiraux » - 1911

Emmanuelle Jouet & Serge Sandor
en collaboration avec Olivier Las Vergnas

Janvier 2009

 

 « Tout le monde le savait !
 Comme ça se passait aux Vermiraux? Tout le monde le savait.
Aussi bien les maires, que les gendarmes, que le curé, tout le monde le savait,
personne ne disait rien… »

« A l’époque ils en parlaient, les anciens, mais entre eux c’est tout -
 et encore, à mots couverts. »

« Les événements étaient horribles, tellement horribles que
les anciens n’voulaient pas le répéter à personne. Fallait pas que les descendants apprennent ça… »

Trois habitants de Quarré-les-Tombes, Salle de la Mairie,
Soirée de restitution, 9 avril 2005, 21h30

 

procès

Le projet

Ce projet trouve ses racines dans un travail d’analyse des secrets en place autour d’une affaire de maltraitance d’enfants au sein d’une communauté villageoise du Morvan au début du 20ème siècle, Quarré-Les-Tombes. L’institution privée morvandelle, située au lieu dit « les Vermiraux » accueillait des enfants de l'Assistance publique et de l'administration pénitentiaire. Le 18 juillet 1911 commence un procès retentissant contre ses gérants. Sept jours plus tard, les condamnations s'étalent de trois ans de prison ferme à deux mois avec sursis. Il s’agit de la première condamnation sévère dans une affaire collective de surviolence à enfants.

C’est la révolte des pensionnaires en 1910 qui a entraîné l'ouverture d'une instruction et a abouti à ce procès contre, les responsables de l’établissement. Ces derniers ont construit un système d'exploitation d'enfants fragilisés socialement et se sont enrichis au détriment des enfants, sous couvert de l’administration de l'Assistance publique, de l'administration pénitentiaire et de celle de l’Instruction publique. Prés d’un siècle plus tard ne subsistait en apparence dans le village plus aucune trace de cet évènement pourtant tant médiatisé à l’époque. La démarche ethnologique qui a été conduite par Emmanuelle Jouet, a donné lieu à des décryptages d’archives, à des moments de partages oraux individuels et collectifs, voire à l’élaboration d’une mémoire commune nouvelle. C’est le mouvement d’alternance de périodes successives d’enfouissements des faits, et de leur dévoilement qui justifie le projet d’une écriture théâtrale.

Durant son travail, Emmanuelle Jouet, chercheuse et docteur en sciences de l’Éducation, a toujours souhaité que ce drame trouverait toute sa résonnance et son écho auprès d’un large public au travers d’une création théâtrale. Les auteurs travaillent également avec Olivier Las Vergnas, arrière petit-fils d’un des protagonistes. Après de multiples rencontres, elle a choisi de travailler avec Serge Sándor qui pouvait mener à bien cette création tant sur le plan de l’écriture que sur le plan humain lors d’une création scénique de qualité avec des jeunes de la région. En effet Serge Sándor toujours partage son temps entre des créations professionnelles et des créations avec des gens souvent en détresse et très marginalisés comme en prison ou avec des SDF, des femmes battues, des jeunes de banlieue.

Ils souhaitent aujourd’hui unir leurs écritures afin de créer une pièce de théâtre portant sur les évènements centraux de l’ « affaire des Vermiraux ». Cependant, ils ne sauraient le faire sans ancrer leur création dans le territoire du Morvan et ni la partager avec les habitants. Leur objectif est de poursuivre le travail sur la mémoire collective, initiée lors de la thèse éponyme, et de favoriser des échanges et des rencontres sur les thèmes de l’enfance « assistée », « en danger » « dangereuse », « aliénée » qui sont non seulement des enjeux pour l’histoire et la mémoire du Morvan et de ses habitants mais qui répondent également à des enjeux de société plus que cruciaux, à l’heure des remises en cause des lois de 1945 relative à l’enfance délinquante et de celle de la pénalisation des personnes vivants avec des troubles psychiques.
Ce dossier présente l’ensemble des actions qu’ils souhaitent initier tout au long des années 2009, 2010 et 2011, ces deux dernières célébrant le centenaire de la révolte des enfants des Vermiraux (2 juillet 1910) et le procès des gestionnaires (18 au 22 juillet 1911).

Les actions proposées pourraient adopter le découpage suivant :
- l’écriture de la pièce de théâtre, avec résidence de Serge Sandor sur lieu et offre d’ateliers de théâtre aux enfants des écoles primaires du Canton de Quarré-Les-Tombes, à l’Ecole des Planches d’Avallon et aux élèves du collège Maurice Clavel d’Avallon, aux enfants du foyer d’accueil d’urgence de Nevers ;
- la création de la pièce de théâtre à Quarré-Les-Tombes et dans la région ;
- le documentaire sur les activités théâtrales avec les habitants et la production de la pièce ;
- un site Internet, dédié au suivi des activités d’aujourd’hui et au travail sur la mémoire ;
- une exposition dans le cadre des activités culturelles du Parc naturel régional du Morvan ;
- la continuation des activités de recherche en lien avec les actualités de l’Association des amis des nourrices et des enfants assistés et de l’agence culturelle du Parc naturel régional du Morvan, comme un travail sur les trajectoires personnelles et éducatives des enfants des Vermiraux, sur le thème « Que sont-ils devenus ? ».

Toutes ses actions pourront être liées à la création de la Maison des enfants de l’assistance publique et des nourrices à Alligny-en-Morvan

L’écriture

L’idée principale est de se fonder sur la monographie élaborée par Emmanuelle Jouet : à partir des textes initiaux, réquisitoire, lettres administratives, journaux, témoignages et journaux personnels, procès verbaux et brochure publicitaire, les faits ont été reconstitués. Les écrits donnent à lire les écarts entre le projet novateur d’une institution éducative aux méthodes nouvelles et les réquisitions et jugements des coupables de malversations et de violence à enfants. Les écrits sont riches, parlent eux-mêmes, témoignent des attitudes et des représentations à l’encontre des enfants assistés, issus de l’administration pénitentiaire ou/et nécessitant des soins psychiatriques. Ce procédé d’écriture laisse au lecteur qu’il soit savant ou profane la possibilité de juger lui-même, d’élaborer sa propre vision des faits et de se construire sa représentation critique de ces moments de l’histoire du Morvan et de la prise en charge des enfants en France au début du vingtième siècle. C’est à partir de ce texte que les auteurs vont construire leur projet de théâtre, la trame narrative étant déjà constitutive de la trame historique.

Note d’intention

Nous comptons donc écrire un texte où les enfants seront les protagonistes de l’Histoire des Vermireaux avec un petit groupe d’adultes. Nous imaginons donc une pièce avec une bonne vingtaine de personnages dont quatre adultes :
Madame et Monsieur Soliveau, propriétaires ;
Monsieur Landrin, sous-inspecteur de l’Assistance publique des départements de la Seine et Marne et de la Seine et Oise ;
Mathieu Tamet, directeur de l’agence des enfants assistés du département de la Seine à Avallon qui a rendu compte au quotidien au travers de son journal des évènements de l’époque ;
Gabriel Latouche, journaliste à L’Eclair.
Ce sont les personnages qui vont nous conduire vers la dramaturgie. Nous ne savons si à ce jour, nous pourrons raconter le procès ou si la pièce s’achèvera avant  le jugement. Ce qui importe est de mettre en avant l’insensé parcours de ces jeunes démunis devant les atrocités qui leur sont infligées et qui ont mis en place un système commercial pour vivre de belle manière malgré les atrocités qu’ils leur feront subir. L’enfant était devenu une sorte de monnaie d’échange, on le prêtait, on le louait, on l’exploitait, on le violait, et ce système fonctionnait comme sur des roulettes jusqu’au jour où, après de quelques révoltes réprouvées de manière violente ou par de cruels chantages, un procureur éclairé, Monsieur Grébault, attacha plus d’importance aux témoignages des enfants qu’aux propriétaires des Vermiraux Nous connaissons tous la barbarie qui ravage les hommes dans les guerres ou dans des cas isolés, mais cette affaire des Vermiraux en est un exemple flagrant d’autant qu’elle s’érige comme un système. Elle nous révèle que l’enfant n’est toujours pas à l’abri d’une quelconque exploitation. C’est de cette manière que nous souhaitons aborder cette histoire, la rendre actuelle et universelle sans pour autant changer les époques ou les lieux.

 

Résumé des faits

« L’Affaire des Vermiraux » retrace des faits qui se sont déroulés au début du XXe siècle dans le Morvan, à Quarré-les-Tombes. Au lieu dit les Vermiraux, une institution éducative privée reçoit, de 1882 à 1910, des enfants de diverses origines sociales et dits « arriérés », « débiles », « nerveux ». Ils sont placés par leur propre famille ou sont issus des agences de l’Assistance publique de la Seine, de la Seine-et-Marne, et de la Seine-et-Oise. L’établissement poursuit une activité de soin contre la teigne jusqu’en 1907, date du décès de son fondateur. La continuation du fonctionnement est assurée par sa femme et de façon cachée par un représentant de l’Assistance publique. A partir de cette année 1907, c’est en une machine d’exploitation financière, humaine et de maltraitance, que se transforme les «Vermiraux ». Les gérants s’enrichissent au détriment des enfants, sous couvert de l’administration de l'Assistance publique, de l'Administration pénitentiaire et de celle de l’Instruction publique. Une révolte des pensionnaires en date du 2 juillet 1910 va entraîner l’ouverture d’une instruction à leur encontre. Il s’agit de la première condamnation française de gérants éducateurs à de lourdes peines de prison ferme


Les ateliers théâtre

Dans la continuité des conférences, de la soirée de restitution des entretiens avec les habitants de la région, il est apparu évident d’associer dès le départ les personnes porteuses de la mémoire collective, de formaliser une collaboration participative et d’apporter une démarche éducative au projet artistique. C’est pourquoi, Serge Sandor, ayant une expérience avec des publics amateurs, il s’est proposé de venir sur lieu, de séjourner quelques mois dans la région, afin d’habiter avec et de connaître la population quarréenne et morvandelle.

Nous proposons donc des ateliers théâtre à différents publics :
- aux enfants des écoles primaires du canton de Quarré-Les-Tombes, en lien avec les objectifs pédagogiques des maîtres ;
- aux élèves du collège Maurice Clavel d’Avallon, dans le cadre des activités théâtrales initiées par Max Ornetti, en appui de la planification d’activités de l’ « Ecole des Planches », sur la base d’atelier d’improvisations animé auprès des collégiens volontaires au fur et à mesure de l’écriture (sur place) de la pièce
- aux enfants logeant au foyer d’urgence de Nevers, population de jeunes aux caractéristiques sociales et émotionnelles proches des enfants reçus par l’institution des Vermiraux.

Pour les plus petits, les ateliers théâtre relèveront des activités de découverte des pratiques théâtrales. Pour les plus grands, l’idée est de proposer d’accompagner le montage de l’écriture de la pièce et de faire jouer les jeunes volontaires dans la création « Les enfants des Vermiraux ». Cette approche permettra d’aborder de nombreux thèmes liés à la mémoire du Morvan : les enfants assistés, les nourrices mais également de faire réfléchir sur le statut de la jeunesse, des « fous » dans la société, le théâtre donnant toute la latitude symbolique pour distancier des faits qui seraient par trop violents si on les regardait trivialement en face.

Les représentations théâtrales

Il sera monté, pour la première représentation, à Quarré-Les-Tombes avec la collaboration des personnes volontaires qui se seront associées au projet. Serge Sandor en s’installant sur place pour écrire la pièce commencera un travail d’échanges et proposera aux habitants de participer au montage de la pièce.

Mettre en scène de ces évènements qui se sont enfouis dans les mémoires personnelles et familiales est signifie bien de proposer aux habitants un espace de co-construction d’une mémoire collective qui s’interrogerait de façon pacifiée et ludique sur des moments douloureux du passé. A l’opposé à la fois des injonctions normalisatrices qui demandent à ce que le passé reste où il est, muet et parfois ravageur, et des chantres de la commémoration excessive, prolixe et parfois falsificatrice, nous croyons que l’art peut conduire à une articulation fructueuse, juste et pédagogique entre les faits difficiles de cette affaire et les identités des citoyens actuels, descendants des familles nourricières ou nouveaux arrivants.

Notre intention est d’ « exporter » cette création théâtrale : dans d’autres communes du Morvan dans un premier temps, de Bourgogne par la suite et de France. Enfin, nous avons des ambitions hors frontières, convaincus que les thèmes abordés par ce projet sont universels (maltraitance de l’enfant abandonné, violence institutionnelle dans les orphelinats, affaire secrète à l’encontre des enfants « fous ») et pourraient susciter le plus grand intérêt des populations mondiales.


Le documentaire

Une telle aventure ne saurait exister sans la production d’un documentaire qui porterait à la fois sur les ateliers d’écriture, sur la vie partagée entre le metteur en scène et les jeunes, sur la naissance de la pièce et sa mise en scène. De fait, les images garderont la trace des activités, du processus de création artistique à la fois pour témoigner des capacités de chaque participant et pour prouver des dynamismes locaux qui prospèrent dans des régions telles que le Morvan.

La recherche

Emmanuelle Jouet, membre du comité scientifique de l’Association des amis des enfants assistés et des nourrices propose de continuer ses recherches sur les enfants assistés du Morvan et notamment d’identifier les trajectoires personnelles et éducatives des enfants des Vermiraux. Elle pourrait poursuivre les recherches en s’appuyant sur les histoires de vies et les devenir des enfants et/ou accompagner des étudiants-chercheurs qui souhaiteraient approfondir cet axe de recherche, en lien direct avec les orientations de l’agence culturelle du Parc naturel régional du Morvan et de l’association des amis des enfants assistés et des nourrices.

Un projet éditorial de la monographie des Vermiraux et de l’approche des « l’économie des secrets dans une affaire de surviolence à enfants » est également en cours. Emmanuelle Jouet poursuivre ses travaux en anthropologie de l’éducation et s’attache à montrer comment une telle affaire, loin d’être un cas isolé dans un temps historique précis, recèle de paramètres invariants à mettre en comparaison avec d’autres scandales éducatifs qui jalonnent le vingtième siècle (les disparues d’Auxerre, l’orphelinat de Jersey…..)

En collaboration avec le Parc du Morvan, des actions pourraient venir soutenir le projet théâtral et celui de recherche :
- un site Internet en lien avec les ressources informatiques de la future Maison des enfants assistés et des nourrices, où les nombreuses sources historiques issus de la thèse ainsi que l’actualité des ateliers et des avancées des la création théâtrale complèteraient des rubriques existantes.
- une ou plusieurs expositions à la fois sur l’affaire passée et les activités du présent.

Pour affiner le lien avec le Parc du Morvan, Emmanuelle Jouet et Serge Sandor proposent que la pièce soit jouée à l’occasion de l’inauguration de la Maison des Nourrices qui aurait lieu en 2011, 100 ans après le procès.

 

Les partenaires potentiels

Après une première rencontre avec différents organismes institutionnels de la région, notre projet a d’ores et déjà suscite le plus vif intérêt chez les partenaires suivants :

  • Le Parc Naturel Régional du Morvan
  • La ville de Quarré les Tombes
  • Le Collège Maurice Clavel à Avallon
  • L’Ecole des Planches à Avallon
  • Le Foyer d’Accueil d’urgence du Conseil Général à Nevers

Le calendrier (provisoire)

2009 :

  • Demande de subvention au CNL et résidence d’artiste à Quarré-Les-Tombes pour Serge Sandor.
  • Écriture conjointe de la pièce, avec Emmanuelle Jouet et Serge Sandor en collaboration avec Olivier Las Vergnas
  • Trois ateliers d’art dramatique par semaine 

- au Centre d’accueil d’urgence de Nevers,
- au Collège Maurice Clavel d’Avallon
- au L’Ecole des Planches

  • Finalisation des partenariats et des conventions 

2010

Création de la pièce et première représentation à Quarré-Les-Tombes (le 2 juillet 2010)

Proposition d’une représentation lors de l’inauguration de la Maison des nourrices en 2011.